Objectif paysages
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Parmi les quarante séries que compte notre observatoire, la suite de photographies sur la pointe amont de l’île Seguin à Boulogne-Billancourt est particulièrement symptomatique des attentes et des limites du procédé. Cette vue appartient à la thématique de la désindustrialisation du département, qui a donné lieu en bords de Seine à une vision complètement renouvelée des rapports de la ville à son fleuve.
Historiquement, ceux-ci ont suivi un parcours sinusoïdal, d’amours et de désamours, au Moyen-Âge, au siècle des Lumières, avec la révolution industrielle et puis enfin aujourd’hui. Au plan imaginaire, les îles ont toujours nourri les imaginations, depuis les voyages d’Ulysse, l’île d’utopie, Amaurote, modèle de cité idéale développé par Thomas More, l’Île au Trésor de Stevenson, l’Île Mystérieuse de Jules Verne et jusqu’à L’île Noire de Tintin.
Symboliquement, Renault à Billancourt était l’emblème des luttes ouvrières, « Krak des ouvriers », ennobli ainsi par Jean Nouvel en chute de son article incendiaire contre la démolition de l’usine.
La photo rassemble encore d’autres récits. Sur le coteau de Meudon, se détachant de la ligne de crête, se détache l’hôtel offert à Isadora Duncan pour son école de danse par l’industriel Singer ? Les deux ponts métalliques, Seibert et Daydé, seuls accès routiers à l’île, seront réhabilités comme lieux de mémoire dans le projet de rénovation. Le fronton dessiné par Albert Laprade, architecte plus connu pour ses albums de croquis que pour son Musée des Colonies construit Porte Dorée pour l’exposition coloniale et rebaptisé récemment Musée de l’Immigration, ce fronton, lui, a disparu.
Il faudrait raconter aussi ce que le genius loci a pu générer comme débats entre décideurs, professionnels et habitants, pour un projet qui va enfin trouver son aboutissement près de trente ans après la fermeture des usines.
On distingue très bien, reconduction après reconduction, l’évolution du site. Cependant l’ordre du visuel ne suffit pas à la renseigner, contredisant ainsi le mot de Confucius, une image vaut mieux que mille mots.
Les attentes de l’exercice tiennent au fait que tous, nous regardons des paysages, particulièrement lors de nos moments de vacance et que cet appétit est une façon de s’approprier le monde.
Ses limites tiennent à cet autre fait que depuis 1995, date de création de cet observatoire, la révolution numérique a bouleversé notre façon de regarder ce même monde et que nous perdons peu à peu ces pratiques physiques d’espace, qui étaient notre façon de parcourir les villes, à pied, pas même en vélo, circulation douce sans doute, mais trop rapide encore pour le faire sien.
Vincent Lelièvre
Architecte-urbaniste, CAUE 92
Boulogne-Billancourt. Recomposition de la pointe amont de l’île Seguin