Objectif paysages
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C'est la première photographie que nous avons faite à Montreuil. De l'autre côté du périphérique, nous avons été projeté en des temps antérieurs. Et l'on a vu ce paysage à travers le regard d'autres artistes qui nous avaient précédés : Kertesz, Doisneau, Tati... Un temps suspendu sur lequel nous avons posé un regard sans nostalgie. Dès le départ, les urbanistes nous ont dit que le principe des reconductions permettait aussi de déceler dans le paysage des évolutions non programmées. Comme dans l'œuvre de Richard Long « A line made by walking » (1967), un certain usage du paysage, (imaginons un raccourci parcouru chaque jour par les élèves rentrant de l'école), pourrait être repéré grâce à la série de photographies et leur permettre de penser autrement les projets. New York, de la piste indienne à Broadway Avenue.
Mais sous ce feuilletage des images qui, l'une après l'autre, recouvre la première, le doute s'installe. Peut-être n'est-ce pas tant l'espace qui a changé que notre façon de regarder. Et cela, la reconduction permet difficilement de le retrouver. Par son cadre strict elle empêche de voir en vrai, de re-voir, à quelques mètres de là peut-être, la profondeur des plans, les détails, l’air entre les bâtiments, la lumière attendue qui révèlent une atmosphère. Chaque modification dans le cadre nécessiterait de regarder d'une autre façon. Et si la précision de la reconduction amène de l'objectivité à l'étude de nos territoires, elle permet difficilement, une seconde fois, de faire paysage. On voit d’ailleurs sur cette série que Pierre-Luc Vacher qui a reconduit notre image a élargi le champ, à partir de 2008, en se reculant de manière à intégrer dans le cadre la cohérence du nouvel ensemble de constructions.
Samedi 26 octobre 2019 nous revenons à Montreuil, sur les lieux, avec notre livre en main. A partir du point de vue, impossible de retrouver l’intention qui nous avait poussé à déclencher. Nous avons cherché ces traces, là où l'usage privé vient effleurer dans l'espace public, là où les transformations ne viendraient pas de "programmeurs" mais des habitants eux-mêmes. Peut-être faudrait-il, pour retrouver cette impression de liberté, ces usages déviants, regarder un peu à côté. Alors la prise de vue pourrait redevenir « prise de vie » (Jean-Louis Comolli).
Anne Favret et Patrick Manez
Photographes / documentsdartistes.org/favret-manez / Galerie Sintitulo / Court métrage France(s) territoire liquide
En s'installant, le périphérique (dans le dos du photographe) est venu couper le quartier face à nous. Il ne s'agit donc pas d'une simple rue frontière entre Paris et Montreuil mais une extrémité de ville, une marge avec des activités bruyantes, polluantes et exigeant de l'espace.
Quand le coût de l'immobilier parisien rend attractif ces espaces moins chers, l'arrivée de bureaux (ici Air France en 2007) ouvre la voie à une nouvelle vie : des cafés et restaurants s'installent un peu plus bas dans la rue Claude Erignac (nouveau nom de l'ex rue de Saint Mandé).
Quelques indices montrent cependant que l'esprit de l'ancienne « zone » n'a pas totalement disparu : la faible qualité du bâtiment rapidement construit (en 2016, le parement ocre laisse apparaitre des traces d'humidité et des mousses vertes) ; la faible qualité urbaine de la rue avec les maigres arbres plantés à l'achèvement du bâtiment qui ne parviennent pas encore à effacer l'aspect minéral et désolé de cette rue ; des entrées de parkings souterrains (et non pas une entrée monumentale pour les piétons avec une enseigne) ; les nombreux potelets, parfois cognés, écartent la présence de voitures mais pas la pression pour se garer (ce qui est moins le cas dans des secteurs sûrs et bien desservis en transports) ; sur le trottoir du fond, la bande cyclable est couverte de barrières pour dissuader les marchés de revente non autorisés (les biffins y viennent nombreux depuis 2017). Les constructions que nous observons (dont le haut est visible depuis le périphérique), nous « tournent le dos » au RDC. La vue représente donc toujours la « banlieue » et même la banlieue de la banlieue.
Pierre-Luc VACHER
Responsable du pôle Valorisation de la Nature - Service Jardins et Nature en ville Direction de l'Environnement et du Cadre de Vie de la Ville de Montreuil
Tissu urbain ancien, sur de petites parcelles avec des maisons d'habitation transformées pour recevoir des activités. Une transformation qui s'est sans doute opérée parce qu'on est ici "au bord" du périphérique mais en marge de la ville.
Apparition d'un bâtiment moderne au fond, la parcelle vidée de ses bâtiments à droite de l'image accueille le Salon du livre sous chapiteau 2 années de suite.
1er cliché en numérique. Déplacement et modification du lampadaire, mise en place du chantier pour le bâtiment à droite.
Avec la disparition de la maison en meulière à gauche, plus aucune trâce de la rue ancienne ne subsiste, excepté le tracé des voies.
Le carrefour est modifié pour une arrivée perpendiculaire sur l'avenue. Des arbres sont plantés dans la nouvelle rue "Claude Erignac" (ex-rue de Saint-Mandé). Un arrêt de bus est implanté au centre.
Déplacement du panneau de sens unique. Cliché pris en novembre.
Un potelet penche au premier plan. Le feuillage des arbres n'est plus visible (cliché pris en décembre).
Le parement du bâtiment ocre laisse apparaitre des traces d'humidité sur la partie supérieure (mousse verte).
Sur le trottoir du fond, la bande cyclable est couverte de barrières "Vauban" pour empêcher les marchés non autorisés. La bande piétonne reste utilisable.