Pour réussir la transition, l’État compte sur ses paysagistes par Le Moniteur

Le rôle du paysage dans la transition écologique a servi de fil conducteur au séminaire des paysagistes conseil de l'Etat, du 15 au 18 septembre à Biscarosse. © Laurent Miguet

Pour réussir la transition, l’Etat compte sur ses paysagistes

« Il faut que vous soyez plus connus ». La déclaration de la ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault est allée droit au cœur des paysagistes conseil de l’Etat, le 17 septembre à Biscarosse (Landes) à l’issue de leur séminaire annuel. La reconnaissance officielle de l’utilité de la démarche paysagère, dans la transition écologique, a franchi un pas en avant, au terme des deux jours et demi de conférences et d’ateliers.

Le séminaire annuel de l’association des paysagistes conseil de l’Etat s’est classé « hors catégorie », du 15 au 18 septembre à Biscarosse (Landes), selon le président de l’association Bertrand Folléa : « L’an dernier, nous avions co-signé le  « manifeste pour une transition écologique et solidaire par le projet de paysage », avec les représentants français et européens de la profession. Ce document qui tient dans une page A4, il s’agit maintenant de le transformer en une réflexion approfondie », décrypte le dirigeant de la chaire « Paysage et énergie » de l’école nationale supérieure du paysage de Versailles.

 

Transversalité

 

Dès le premier jour du séminaire, le naturaliste Gilles Bœuf a applaudi l’idée maîtresse qui porte ses participants : « Votre métier génial et incroyablement transversal, c’est ce qui manque à la France, et notamment aux jeunes, qui n’ont jamais appris cette manière de travailler ». 

Le principe du pas de côté paysager à introduire dans toutes les politiques sectorielles démontre son utilité dans sept domaines clés approfondis dans les ateliers des 16 et 17 septembre : l’urbanisme, la gestion des risques naturels, les mobilités, l’économie, l’agriculture, les énergies renouvelables et le patrimoine. Ces thèmes ont stimulé les analyses, mais aussi les propositions concrètes de l’APCE.

 

Bien commun

 

« La scission de l’économie et de l’écologie conduit à une impasse » : ce diagnostic doit-il conduire à monétariser la nature ? L’atelier économie préfère creuser la piste des « biens communs pas forcément chiffrables », selon son coanimateur Bertrand Folléa. Débouchant sur des projets peu coûteux, en particulier dans la gestion de l’eau, cette méthode démontre l’absurdité de la règle qui indexe la rémunération de la maîtrise d’œuvre sur le coût des travaux, au lieu de stimuler la matière grise investie.

 

Bertrand Folléa

Un séminaire "hors catégorie", juge Bertrand Folléa, président des paysagistes conseil de l 'Etat

L’idée du bien commun a inspiré la proposition clé de l’atelier Mobilités : régénérer la politique du 1 % paysage et l’appliquer à la transformation des infrastructures existantes, pour conduire les territoires périurbains vers les transports collectifs et les  modes doux.

Planifier en amont

 

« Alors que dans les années 1990, âge d’or du 1 %, les grandes infrastructures autoroutières s’appuyaient sur les contributions des paysagistes dès la rédaction du dossier de déclaration d’utilité publique, ce dispositif tombe peu à peu en désuétude, ou alors il s’applique seulement après la livraison », regrette François Granet, ingénieur des routes à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) d’Auvergne Rhône-Alpes (Aura).

L’atelier Energies renouvelables butte sur le même constat d’une perte de sens liée à une intervention tardive, en aval des projets. A l’inverse, l’APCE demande le renforcement et la spatialisation des plans Climat, air, énergie territoriaux, et leur association à des orientations d’aménagement et de programmation spécifiques.

 

Marier les patrimoines vivant et bâti

 

L’aspiration au décloisonnement trouve dans le patrimoine un terrain privilégié : l’atelier dédié propose la création d’une Mission interministérielle qui briserait les frontières entre le bâti le vivant. La présence des paysagistes conseil dans les directions régionales des affaires culturelles déclinerait cette approche transversale sur le terrain.

« L’exemple de la désimperméabilisation de l’esplanade du Château de Vincennes montre que l’application de recettes techniques ne suffit pas à faire de bons projets », développe Laure Planchais, co-animatrice de l’atelier patrimoine. Les PCE pointent un contresens dans la gestion des écoulements par des noues, là où la fidélité à l’esprit du lieu suggérait de partir des anciens fossés du château.

 

Paysagistes de l’urgence

 

Le déficit de réflexion paysagère trouve son illustration la plus flagrante dans l’agriculture, qui occupe la majeure partie de la surface du pays : « Nous demandons une place autour de la table, notamment dans les directions régionales de l’agriculture et  de la forêt, pour mettre un pied dans le plat alors que la politique agricole commune continue à standardiser les paysages », clame Mikaël Ripoche, co-animateur de l’atelier.

Fil conducteur du séminaire, le thème de la transition écologique dictée par l’urgence climatique invite logiquement à se pencher sur les risques naturels : « Face aux aléas, des paysagistes de l’urgence éviteraient les erreurs comme des enrochements mal implantés, ou autres travaux irréversibles », estiment les PCE. Leur démarche et les projets des professionnels qu’ils représentent activeraient la culture du risque, en rendant visible la mémoire des sinistres, face à la tentation du déni.

 

Nouveaux regards sur le risque

 

L’enthousiasme suscité par cette approche reflète l’exceptionnelle écoute manifestée à tous les échelons par les représentants de l’Etat : « Vous nous nettoyez le regard. A force de nous en tenir au respect des règlements, nous en oublions l’aménagement », réagit Laurent Kompf, chef du service Aménagement et Risques de la direction départementale des territoires (DDT) de Haute-Savoie.

Sur les risques côtiers qui ont imprégné le séminaire de Biscarosse, « les collectivités auront besoin de vous, pour appliquer les dispositions de la loi Climat et résilience », encourage Vincent Montrieux, sous-directeur de la qualité du cadre de vie à la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages du ministère de la Transition écologique.

 

Levier législatif

 

Directrice de l’aménagement, du logement et de la nature du même ministère, Stéphanie Dupuy-Lyon enfonce le clou : « La loi Climat a cassé l’approche par les plans de prévention des risques, outil qui sort de la logique d’adaptation, au profit de la recomposition spatiale induite par le recul du trait de côte. C’est une révolution culturelle dont nous sommes fiers ». « Frappé par l’idée des paysagistes de l’urgence », Vincent Montrieux reconnaît : « Effacer ce qui s’est passé et reconstruire à l’identique ne constitue pas la bonne solution ».

Sans aller jusqu’à accéder à la demande d’une transcription des plans paysage dans les financements des contrats de transition et de relance écologique, la ministre Jacqueline Gourault a encouragé les séminaristes de Biscarosse à prendre leur place dans la politique qu’elle définit comme sa « marotte » : « Je crois à la contractualisation, comme moteur de la modernisation de l’action publique du pays. Dans la vision transversale qui préside aux programmes comme Action cœur de ville ou Petites villes de demain, votre rôle doit s’affirmer en amont ».

 

Une ministre acquise à la cause

 

Eveillée au paysage par son passé d’élue locale de l’agglomération de Blois, pionnière dans la mise en œuvre des  méthodes prônées par l’APCE, Jacqueline Gourault a rappelé que cette inclinaison découle de sources plus profondes : « Eleveur dans la vallée du Loir, mon père a vécu les pressions pour arracher les haies et se convertir à la culture céréalière. Oui, travaillez avec les agriculteurs qui souffrent de l’image qu’ils véhiculent, mais qui portent une vision évolutive de leur rapport à la nature », encourage la ministre.

 

Jacqueline Gourault

"Il faut que vous soyez plus connu", a lancé la ministre de la Cohésion des territoires aux paysagistes conseil de l'Etat

Les PCE peuvent d’autant plus se réjouir de la bonne réception de leurs messages que des témoins les ont enregistrés et se tiennent prêts à mettre en œuvre les perspectives ouvertes à Biscarosse : « Avec vous, les architectes conseil peuvent porter des visions et programmes dans des think-tank départementaux, plutôt que d’intervenir en réaction. Mutualisons nos moyens ! », enjoint Hélène Reinhard, présidente des architectes conseil de l’Etat et aussi ardente défenseure du bien commun que son alter ego du paysage Bertrand Folléa.

 

Rassembleurs

 

Au nom de l’association sœur et principale représentante de la profession, Henri Bava, président de la fédération française du paysage, a rappelé l’« exigence commune » formalisée dans le manifeste de 2020, et l’opportunité qui s’ouvre pour passer à l’action : « Il y a 45 ans, des pionniers enflammés ont lancé ce métier. Aujourd’hui, nous voilà en position de rassembleurs, sans domaine réservé ni monopole, même s’il nous reste du chemin à parcourir pour faire nombre ».

 

Prochaine étape : former les maires

 

De la ministre aux paysagistes en passant par les services de l’Etat, tous les participants au séminaire reconnaissent que la massification passe par la formation des élus. Conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine et maire de Saint-Jean d’Angély, Françoise Mesnard confirme : « Je vous découvre grâce à ce séminaire, et je ressens la nécessité d’un schéma directeur paysager, pour encadrer les projets que nous allons engager grâce au programme des Petites villes de demain. Mais comment en rédiger le cahier des charges ? »

 

Source : Le Moniteur - Laurent Miguet, le 20/09/2021